« Ba ba ba ba babybel »… La reprise du titre « Barbara Ann » du groupe américain « The Beach Boys » nous renvoie tous à la publicité télévisée des années 1990 pour le fromage « Mini Babybel ». De sa naissance en 1922 à nos jours, le Groupe Bel a su s’imposer dans les fromages industriels sur les marchés français et mondial, de « La Vache qui rit » à « Babybel », en passant par « Bonbel » ou « Apéricube ».
Après avoir repris l’affaire familiale d’affinage, c’est dans les années folles que Léon Bel (1878 – 1957) dépose la fameuse marque emblématique « La Vache qui rit », à l’origine de l’aventure Bel. C’est un simple fromage fondu inspiré d’une technique nouvelle de conservation, pratique, peu encombrant et se conservant facilement. Le succès est immédiat, la société anonyme des Fromageries Bel voyant le jour en 1922 (Les Fromageries Bel).
L’après-guerre, l’essor de la société de consommation et la grande distribution accompagnent le développement de « La Vache qui rit », historiquement l’une des premières marques de fromage industriel. Toujours inventif et innovateur, le Groupe Bel lance de nouveaux produits sur le marché (« Bonbel », « Babybel », « Apéricube »…), au fil des années.
Aujourd’hui le Groupe Bel, c’est une cinquantaine de marques distribuées dans près de 130 pays, un effectif de 12 600 salariés répartis sur 33 sites de production en France et à l’étranger et un chiffre d’affaires (3,74 milliards d’€ en 2024) réalisé à 53,8 % en Europe. Bel, c’est aussi un exemple de capitalisme familial, les rênes de l’entreprise étant toujours tenues, à ce jour, par la famille fondatrice. Ayant célébré son centenaire en 2022, l’histoire de ce fleuron de l’agro-alimentaire français mérite d’être ici relaté, à savoir une véritable saga et un modèle de réussite familiale.
De la petite fromagerie jurassienne à « La Vache qui rit »
En 1865, Jules Bel (1842 – 1904) - fromager-affineur de vingt-trois ans -, installe sa cave à Orgelet, dans le Jura (à quelques km de Lons-le-Saunier) : « Les Etablissements Jules BEL, Gruyères en gros ». Nous sommes alors sous le Second Empire. Jules Bel fait vieillir en cave des meubles blanches de comté (fromage entier jeune de forme cylindrique), qu’il revend une fois affinées. Né de la nécessité de stocker le lait abondant en été afin d’en avoir profit durant l’hiver, le comté est un fromage de lait cru de vache à pâte pressée cuite. Dérivée de la recette du gruyère, sa production a été introduite en Franche-Comté au début du XVIIIe siècle.
La fabrication de meules de grands fromages secs et durs permet de les faire voyager plus facilement et de les vendre. A partir du milieu du XIXe siècle, l’avènement du chemin de fer permet de vendre à plus grande distance. Les bâtiments de transformation et outils de production se modernisent, de grands changements intervenant à cette époque. A la fin du XIXe siècle, plus de 1 800 fruitières (coopératives fromagères) produisent du « gruyère de Comté » dans la région Franche-Comté. Jules Bel développe son activité. A seulement cinquante-cinq ans, en 1897 (désormais sous la IIIe République), il confie son affaire à ses deux fils, Henri et Léon (âgés de vingt-neuf et dix-neuf ans), à qui il a transmis les ficelles du métier.
La maison devient alors « Bel Frères » et s’installe à Lons-le-Saunier, à proximité de la ligne de chemin de fer et des salines de Montmorot, le sel étant indispensable à l’affinage fromager. Au décès de leur père en 1904, les deux frères reprennent définitivement l’affaire. Jusqu’à ce qu’Henri quitte l’entreprise en 1908, la maison prenant alors simplement la dénomination « Léon Bel, Gruyère en gros ». Au déclenchement de la guerre de 1914-18, Léon Bel est mobilisé à trente-six ans et affecté aux escadrons du « Train », au « Ravitaillement en Viande Fraîche » (RVF).
Léon Bel (1878 – 1957)
Au même moment, en 1917, les Suisses Emile, Otto et Gootfried Graf importent en France, la technique de fabrication du fromage fondu, mise au point par leur compatriote Gerber, en 1907. Le procédé industriel a été inventé, lui, par Fritz Stettler en 1911. Inspiré de la fondue suisse ou de la cancoillotte jurassienne (plats traditionnels très anciens), ce fromage fondu a de l’avenir, bien qu’encore inconnu, car goûteux et économique. Conditionné dans des boîtes métalliques, il supporte les longs voyages et les climats chauds. Durant cette période, la production fromagère augmente, se modernise et les regroupements d’exploitations se poursuivent.
En 1919, Léon Bel est démobilisé. De retour à Lons, il reprend les rênes de son entreprise et constate l’augmentation de la consommation de fromage sur le marché français. Lorsqu’il découvre cette technique de transformation du fromage fondu (élaborée par Gerber et les frères Graf). Dont il pressent le formidable potentiel, sur le plan agroéconomique, car économique, facile à transporter et à conserver. La clé essentielle du développement est d’ouvrir des débouchés lointains à la vente, nécessitant la maîtrise de la conservation des fromages, sur des temps et des transports très longs.
De plus, ce procédé est parfaitement adapté au comté, permettant de recycler les meules fendues, de mauvaise qualité ou en excédents. Suivant un procédé analogue, Léon Bel décide de fabriquer un fromage fondu de grande valeur gustative et d’usage pratique, présentant de bonnes qualités de conservation et d’hygiène. A partir de cette recette, il décide de lancer sa propre marque, en faisant appel au savoir-faire du Suisse Emile Graf qu’il a débauché, en s’installant dans l’atelier dit « de l’Aubépin », à Lons-le-Saunier (aujourd’hui devenu « la Maison de La Vache Qui Rit »).
Léon Bel (1878 – 1957)
C’est le 16 avril 1921 que la marque « La Vache qui rit » est déposée par Léon Bel à l’Office national de la propriété industrielle. Le succès est immédiat, l’audace étant instantanément récompensée ! Les premières boîtes métalliques se vendent comme des petits pains. Cette marque commerciale de petits fromages fondus – alors dénommé « crème de gruyère » et inspirés d’une recette très ancienne, retravaillée -, plaisent autant aux parents qu’aux enfants. De bonne valeur gustative, « La Vache qui rit » est facile à conserver, pratique à tartiner et utilisable en cuisine. Léon Bel fonde en 1922 la société anonyme des Fromageries Bel (Les Fromageries Bel).
La naissance d’une image de marque
La production et la distribution restent encore limitées. C’est en 1924 que débute le démarrage industriel et commercial de « La Vache qui rit », historiquement l’une des premières marques de fromage industriel. Léon Bel équipe la fabrique lédonienne de matériel moderne pour faire face au succès rapide de la marque : machines à portions permettant de fractionner le fromage fondu en portions individuelles, premiers pétrins de fonte et couleuse à portions triangulaires de fromage fondu. Les portions sont enveloppées dans un papier d’étain, puis disposées dans des boîtes initialement en fonte, puis rapidement en carton. Dès la première année, ce sont 12 000 boîtes de « Vache qui rit » qui sont vendues quotidiennement.
Fabrique « Les Fromageries Bel », Lons-le-Saunier, années 1920
Cherchant à travailler l’image de marque de « La Vache qui rit », Léon Bel se souvient qu’au RVF B70 où il était mobilisé, les militaires dessinaient sur les véhicules de ravitaillement des « insignes ». Souvent humoristiques, ils permettaient d’identifier les différentes unités. Le commandant du RVF B70 avait écrit à un illustrateur mobilisé au RVF, Benjamin Rabier, afin de réaliser le dessin humoristique d’un boeuf souriant. Qu’un poilu eut l’idée de baptiser « La Wachkyrie », en référence aux Walkyries de l’opéra de Wagner, le célèbre compositeur allemand.
Léon Bel a alors l’idée de s’inspirer de cette insigne du RVF B70, représentant une vache en pied avec une expression hilare. Il est passé commande à Benjamin Rabier, afin de la redessiner pour l’occasion. L’apport d’un dessinateur renommé s’y adjoint. A l’origine de la célèbre vache à l’humeur badine, Benjamin Rabier (1864 – 1939) est un illustrateur déjà célèbre, quand Léon Bel choisit ce dessin, en 1923, pour illustrer les boîtes de « Vache qui rit ». Depuis la fin du XIXe siècle, ce maître du comique animalier publie dans les plus grands illustrés. Son canard Gédéon (né en 1923) est le héros de dix-sept albums de bandes-dessinées pour enfants.
Benjamin Rabier, illustrateur animalier (1864 – 1939)
Avec l’accord de Benjamin Rabier, Léon Bel charge l’imprimeur lyonnais Vercasson de teinter cette tête de vache en rouge et de la parer de boucles d’oreilles en forme de boîtes de « Vache qui rit », afin d’y rajouter une touche de féminité, sur les conseils paraît-il de sa femme. Ce qui achève de finaliser un produit devenu aujourd’hui une légende du secteur agroalimentaire français.
Vercasson dépose le dessin initialement sous le nom de « Vache rouge », ce qui amène Léon Bel à négocier les droit exclusifs du logo, en 1952. Ainsi que les droits d’illustration d’une marque de camembert, à l’illustration effectuée par Rabier en 1921 et qui reprend presque à l’identique le motif de « La Vache qui rit ». En novembre 1923, plusieurs milliers de grandes affiches sont commandées (et le double, dès 1924). Une icône publicitaire est née…
« La Vache qui rit », affiche publicitaire (Benjamin Rabier, 1923)
La fabrique de Lons-le-Saunier est vite dépassée et trop exigüe. Léon Bel achète des terrains à proximité, toujours à Lons et y fait construire une nouvelle usine ultramoderne, inaugurée fin 1926. Elle est capable de fondre 20 tonnes de fromage par jour, soit une innovation sectorielle, pour l’époque. Régulièrement modernisée et toujours existante, en 1996, elle produit 20 000 tonnes de fromage fondu (« Vache qui rit » et « Apéricube »), presque entièrement destiné à l’exportation, ses effectifs étant de 600 salariés en 1945, puis 450 en 1954 et 350 en 1996.
Dès 1926, un « bureau de publicité » est créé en son sein, gérant en interne la « réclame » de la marque. A ce titre, le talent publicitaire sera le réel moteur du succès des marques Bel, articulé autour de sa marque fétiche « La Vache qui rit ». Le fromage fondu est un produit ambiant, se conservant hors de la glacière encore à l’époque, puis du frigidaire (à partir de l’après-guerre), durant au moins un an. Pour Léon Bel qui cherche à faire voyager ses fromages, c’est le produit miracle sur le plan de la conservation.
Sur le plan de la distribution, il recourt à des grossistes, détaillants, coopératives (environ 3 000 clients), acheminant les fromages vers les points de vente au détail. Il dispose de ses propres dépôts dans toutes les grandes villes de France, d’un réseau de représentants, d’une flotte de véhicules (estampillés « Vache qui rit »). Avec une production quotidienne de 120 000 boîtes de « Vache qui rit », il cherche à exporter.
En 1929, la première filiale de Bel à l’étranger est créée au Royaume-Uni, à l’usine à Southampton : Bel Cheese Company, « The Laughing Cow ». Ce qui est suivi d’une filiale en Belgique, en 1933, alors métropole du Congo belge. Dorénavant plus rien n’arrêtera l’essor des produits Bel, plébiscités pour leur goût, texture, capacité de conservation et résistance aux transports. Mais l’expansion internationale débute réellement à partir des années 1960.
Plaque émaillée publicitaire, « La Vache qui rit » (années 1930)
Avec une certaine pointe d’humour, la marque s’aventure dans tous les médias (presse, radio, cinéma…). Du matériel publicitaire est distribué aux détaillants, faisant peu à peu de « La vache qui rit » une sympathique icône reconnue du grand public. Dans les années 1930, la chanson « C’est la Vache qui rit » de Jean Rodor est diffusée sur les ondes, interprétée par le chansonnier Constantin « Le Rieur »…
La marque organise de grands concours avec lots à la clef. Les boîtes contiennent des images à collectionner, en ciblant le public infantile. « La Vache qui rit » sera la première à soutenir les évènements sportifs, les foires et expositions : « Six jours » de Paris au « Vel d’hiv’ » (1925), Caravane du Tour de France (1933 à 2009), Salon des Arts décoratifs (1925), Salon des Arts ménagers (1930), Foire de Paris (1935).
La crise des années 1930 et l’occupation
Les effets de la crise des années 1930 se font ressentir à partir de 1931-32. En dépit d’une sérieuse baisse d’activité, Léon Bel refuse d’engager une politique d’austérité. Il soutient l’investissement publicitaire, puis élargit la gamme de ses produits, afin de maintenir la notoriété et assurer la diversification. En 1931 (ou 1933 selon les sources) naît la marque « Babybel », fromage industriel à pâte dure, enrobé d’une coque en cire et à l’ouverture assurée par une languette. Mais la marque n’est vraiment commercialisée qu’en 1952 (niveau régional) et à partir de 1964 (niveau national). Le format « Mini Babybel Rouge » n’apparaît, lui, qu’en 1976.
Affiche publicitaire, « La Petite Marmite au Fromage », 1934
« La Petite Marmite au Fromage » est mise sur le marché en 1934, à savoir un bouillon instantané en portions, à base de fromage fondu. A partir de 1934, les laiteries Bel étendent leur production à une gamme élargie de fromages : Edam, Gouda, Mimolette, Saint-Paulin… Des concurrents à « La Vache qui rit » existent sur le marché du fromage fondu (Graf, Picon…). D‘autres fromagers peu scrupuleux tenteront d’en copier l’image, près de 150 contrefaçons ayant été enregistrées. A l’image de « La Vache Sérieuse » (pastiche de « La Vache qui rit »), qui a été déposée en 1926 par les Fromageries Grosjean, également installées à Lons.
A partir des années 1950, les hostilités pour contrefaçon sont portées jusque devant les tribunaux, mais à l’initiative des Fromageries Grosjean contre toute attente. En 1957, Grosjean perd son procès. Un arrêt de la cour de cassation clôt définitivement l’affaire en 1959. Grosjean se voit contraint de rebaptiser son fromage « La Vache Grosjean » (cas célèbre toujours étudié en école de commerce). Le site de Dole des Fromageries Grosjean rejoint d’ailleurs le groupe Bel en 1960.
En 1937, Léon Bel s’efface progressivement, son gendre, Robert Fiévet (1908 – 2002), étant nommé Directeur Général. En 1940, les Fromageries Bel font l’acquisition du Groupe des Laiteries de l’Ouest (six usines dans la Sarthe et le Maine-et-Loire). En 1941, Robert Fiévet devient PDG des Fromageries Bel, son beau-père lui confiant définitivement les rênes. La guerre et l’occupation freinent le développement de l’entreprise, mais la production continue.
De la Libération à 1996, l’ère Robert Fiévet
Devenu Président en 1941, Robert Fiévet (1908 – 2002) conduit le développement national et international des Fromageries Bel (devenu aujourd’hui le Groupe Bel), jusqu’en 1996, soit pendant plus d’un demi-siècle, (record de longévité…), étant à tous les égards l’homme-clef de cette période. Il saura s’associer de multiples talents et pendant plus d’un demi-siècle, il sera à l’origine de l’accélération fulgurante de l’entreprise, la production étant multipliée par 40.
Il assure l’extension des usines existantes en France, la création de centres de recherches - Lons en 1960, Vendôme en 1969 -, la mise en place de nouvelles unités de production et la conquête du marché international. Après les années 1945-46-47, assez difficiles et marquées par des hivers rigoureux successifs, les tickets de rationnement, l’économie française se redresse petit à petit.
Robert Fiévet (1908 – 2002)
L’essor de la société de consommation, de la grande distribution et les effets du Baby-Boom accompagnent le développement des produits Bel. En 1947, c’est le lancement sur le marché de nouveaux produits : « Belébon » et « Bonbel ». En 1950, les Fromageries Bel acquièrent le fromage « Port-Salut », créé en 1816.
Publicité « Babybel », 1952
Robert Fiévet confie le destin publicitaire des Fromageries Bel, à l’agence Chavane (dirigée par l’illustrateur Hervé Baille), puis à Montfort et TWBA. « La Vache qui rit » s’affiche publicitairement dans l’espace public (la rue, le métro, l’arrière des autobus), la presse, les salles de cinéma, une émission de radio pour enfants et jusque sur les protège-cahiers et buvards des écoliers, s’inscrivant dans la vie quotidienne des Français.
Affiche publicitaire, « Bonbel », 1947
La teneur en matières grasses de « La Vache qui rit » augmente à 40 % en 1948. Sa composition est encore enrichie en 1955, en portant à 50 % la part de matières grasses. Soit une performance technique et un pari à l’époque, « La Vache qui rit » devenant plus onctueuse et facile à tartiner. L’emballage est également rajeuni (bande bleue et blanche), une languette rouge permettant d’ouvrir la portion plus facilement (inventée par Yves Pin, originellement destinée à l’ouverture des enveloppes postales, son brevet ayant été acheté au concours Lépine).
Son image est dépoussiérée, remodelée pour l’occasion, « La Vache qui rit » s’adaptant et se lançant dans les campagnes publicitaires photographiques dans les années 1950-60. A ce titre, Bel sera toujours à la pointe de l’innovation. En 1968, la télévision française autorise la diffusion de films publicitaires, jusque-là interdite. A cette occasion, « La Vache qui rit » est l’une des premières marques à se lancer dans la publicité télévisée, la ruminante apparaissant désormais pleinement au petit écran.
Le souci de la diversification, de la communication, de la pub’ et de l’international
La vitalité commerciale de l’entreprise porte ses fruits. Le Groupe Bel cherche à compléter la cible du grignotage et de l’apéritif, en glissant vers le petit fromage-cube-apéro avec la marque « La Vache qui rit Apéritif Cocktail » en 1960, devenue « Apérit-cube » en 1971, puis enfin « Apéricubes » en 1976. A la fin des années 1960, « La Vache qui rit » est incontestablement le produit-phare de son secteur avec 56 % de part de marché.
Le développement du Groupe Bel s’articule autour de cette marque de fromage fondu, locomotive de la petite nébuleuse des marques Bel : « Babybel », « Bonbel », « Apéricubes »… Dans les années 1960, « La Vache qui rit » se lance dans une campagne inédite avec le dessinateur Jacques Parnel. En 1968, Bel lance la marque « Kiri », destinée spécialement aux enfants (après plusieurs années de recherche dans leur site de Sablé-sur-Sarthe) et leur concurrent « Picon » intègre le groupe, la même année.
Dans les années 1970, les nouvelles campagnes publicitaires contribuent à créer une image dynamique et moderne de la « Vache qui rit » : « Les Vachequiriphiles ». Bel n’hésite pas à se lancer dans de nouveaux médias, de nouveaux formats, en tant que pionnier de la miniaturisation agro-alimentaire. En 1976, le « Mini Babybel » et sa coque rouge à languette est lancée sur le marché. Cette marque s’impose telle une alternative saine et équilibrée, en terme de grignotage.
Lot à gagner « La Vache qui rit », 1977
On se souvient la fameuse publicité pour le « Mini Babybel Rouge », reprenant le refrain du titre « Barbara Ann » du groupe « The Beach Boys » : « Ba ba ba ba babybel »… Toujours à l’affut des effets de mode et des tendances de consommation, Bel se diversifie également dans les fromages allégés en matières grasses, en lançant Sylphide en 1972 ou encore la version allégée de la « Vache qui rit » en 1986.
Bel a très bien su également s’exporter et ce dès les années 1920. Dans les années 1950, Robert Fiévet multiplie les implantations à l’étranger, développant l’exportation non plus seulement en Europe, mais mondialement : en Amérique du Nord, en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Après une adaptation souple et étudiée aux habitudes locales, le lancement s’accompagne d’une campagne publicitaire ciblant le marché.
Une petite usine est installée au Danemark, à Odense, dès 1953. Une filiale est créée en RFA (République Fédérale d’Allemagne, ex-Allemagne de l’ouest), en 1959. Déjà présents dans presque tout le Marché Commun, les Fromageries Bel entreprennent la conquête de nouveaux marchés : l’Espagne et les Pays-Bas (1967), l’Italie (1977), la Suède (1978).
Robert Fiévet ouvre des filiales et des usines sur les cinq continents, afin d’être au plus près des marchés ciblés. Dès les années 1960, « La Vache qui rit », « Bonbel » et « Babybel » apparaissent dans soixante pays. Les exportations de Bel assurent ainsi en 1965, 11 % des exportations totales de fromages français ! En 1964, Bel reçoit même « l’Oscar de l’exportation ».
En 1970, « La Vache qui rit » s’implante aux Etats-Unis (ouverture d’une fromagerie à Leitchfield, Kentucky), marquant les débuts de la formidable « success story » de la marque outre-Atlantique. Pour l’anecdote rapportée dans l’historique de « La Maison de La Vache qui rit », une étude américaine la recommande en guise d’en-cas coupe-faim sain et diététique en 2003. Ce qui vaut un regain de succès à sa version allégée, de New-York à Los Angeles. Longtemps associée à une seule recette, « La Vache qui rit » est devenue ce que l’on appelle une marque « ombrelle », se déclinant en plusieurs variantes.
En 1974, la marque s’implante sur le continent africain, à travers une filiale au Maroc. Une fromagerie ouvre à Tanger, d’aujourd’hui 30 000 m² et employant 1 300 salariés. Soit la plus importante unité de production du groupe dans le monde, dont 35 % de la production est destinée au Maroc, 65 % exportée vers l’Afrique subsaharienne, les pays du Golfe et le Maghreb. Cette usine produit entre 5 000 et 6 000 tonnes de fromage fondu à la fin des années 1970, contre 40 000 aujourd’hui, les deux principaux marchés mondiaux étant le Maroc et l’Algérie, juste après la France.
Le Group Bel acquiert Adler (Allemagne) en 1989, Maredsous (Belgique) en 1991, Queserias Ibericas (Espagne) et Cademartori (Italie) en 1994, puis Lacto Ibérica (Portugal) et Kaukauna (Etats-Unis) en 1996. Dans les années 1980 et 90, Bel rivalise d’ingéniosité publicitaire. Dans les années 2000, la « Vache qui rit » lance à la télévision et sur le web une campagne accompagnée d’un concours, sans oublier les succès des campagnes sur Facebook et les réseaux sociaux. Ce mélange d’innovation technique, commerciale, publicitaire s’avère encore aujourd’hui indissociable du succès des marques Bel.
Publicité télévisée « La Vache qui rit », 1986 Boîte actuelle de « La Vache qui rit », 2022
Publicités télévisées, « La Vache qui rit », 2001, 2010
Publicité « Mini Babybel Rouge », années 2010
Bel ouvre deux filiales en Egypte en 1998 et 2006, puis en Algérie en 2001 et 2007, en Syrie (jusqu’à la guerre civile en 2010-11), au Vietnam en 2011, au Japon ou encore en Chine. Seize usines fabriquent « La Vache qui rit » et les autres marques dans le monde, la plus grande étant à Tanger et la plus petite en Côte-d’Ivoire. Si son image est la même partout, en revanche, le nom commercial « La Vache qui rit » est traduit sur ces différents marchés.
La marque est à peu près identique, sur le plan de la recette (pour l’essentiel, avec de légères variantes locales), de l’emballage. Sa formule est enrichie en vitamine D et en lipides dans les pays en voie de développement, les Etats-Unis et le Canada privilégiant une « Vache qui rit » allégée ou aromatisée aux oignons. En Europe centrale, elle est souvent aromatisée au paprika, parfumant traditionnellement la cuisine locale.
De 1996 à nos jours, la poursuite de l’aventure
En 1996, une page se tourne avec le départ de Robert Fiévet (à l’âge de 88 ans), à la tête du groupe depuis près de soixante ans. Devenu président d’honneur (décédé en 2002), il cède la place à son gendre Bertrand Dufort (né en 1939), directeur général depuis dix ans. Avec 8 milliards de francs de chiffre d’affaires annuel, le groupe est rentable et indépendant, contrôlé à 56 % par la holding familiale « La Carbonique ».
Le développement repose sur la vente des marques « Vache qui rit », « Babybel », « Kiri », « Port-Salut », celle subventionnée de fondus au Moyen-Orient. Bel lance un programme de productivité dans ses sites européens, sans renoncer à ses parts de marché sur les pays tiers. La diversification se poursuit et depuis 2006, Bel a lancé près de 50 nouveaux produits. Depuis 2009, la présidence est assurée par l’arrière-petit-fils du fondateur, Antoine Fiévet (né en 1964).
Antoine Fiévet (né en 1964), PDG du Groupe Bel
Bel se porte acquéreur des marques « Leerdammer » (2002) et « Boursin » (2007) rachetée 400 millions d’euros à Unilever pour cette-dernière, à des fins de croissance externe. En 2016, le siège de Bel déménage à Suresnes (Hauts-de-Seine) sur l’ancien site de la parfumerie Coty. Le Groupe Bel prend une prise de participation majoritaire de 65 % dans le Groupe MOM (Mont Blanc, Pom’Potes, GoGo squeeZ et Materne) pour un montant de 850 millions d’euros, la même année. Il étend ainsi son offre aux desserts lactés et aux compotes.
Pour des marques plus éthiques et responsables, la réduction des emballages est érigée en priorité, désormais recyclables à 81 % (à 100 % recyclables et biodégradables en objectif pour 2025). La fromagerie jurassienne se lance également dans le végétal. Des recettes de « Vache qui rit » sont testées (moitié lait, moitié végétales), la généralisation dépendant des résultats de la démarche. La production de « Vache qui rit » véganes est lancée, visant notamment le marché anglo-saxon.
Logos du Groupe Bel jusqu’en mars 2010, à partir de mars 2010 et depuis octobre 2019.
Un placement de 125 millions d’euros est réalisé, en vue de la mise en place de filières de production laitière durables, respectueuses des « bonnes pratiques » (bien-être animal et prix d’achat). La nouvelle marque le « Fromage de Margot » (bio) est lancée en 2019. Un travail en profondeur est réalisé par la R & D pour chaque recette, afin de réduire sel, matières grasses et s’autoriser de nouveaux ingrédients.
En 2021, Bel réalise l’investissement le plus important de son histoire, engageant 112 millions d’€ dans sa troisième usine de Mini Babybel aux Etats-Unis, à Brookings (Dakota du Sud). L’objectif est de tripler les ventes outre-Atlantique d’ici à 2025 (premier marché de la marque dans le monde, aux ventes ayant progressé de 24 %, en 2013).
Le marché américain est érigé au rang de priorité à l’international, suivi de celui du Moyen-Orient (Yémen, Arabie saoudite), de l’Asie (Chine, Inde), suite à l’installation d’une usine au Vietnam (2011) où « La Vache qui rit » rencontre un grand succès, une portion de VQR étant souvent offerte à un invité en guise de bienvenue. L’Afrique est un levier de croissance important (12 % des ventes, 50 % de part de marché en Algérie et au Maroc), sans oublier l’Amérique latine. Le Groupe Bel ne s’interdit aucun plan d’investissement à long terme, mais en rééquilibrant les risques.
Le succès de « La Vache qui rit » (déclinée en bio depuis peu), aux 10 millions de portions vendues quotidiennement, s’explique par son atout de conservation (hors du frigidaire pendant un an), ses qualités gustatives à la fois en fromage à tartiner ou en cuisine, son emballage en aluminium, matière se recyclant à l’infini et un logo reconnaissable à cette vache rouge hilare aux boucles d’oreilles, en forme de boîtes de fromages. Revu une dizaine de fois depuis sa création, le dessin a peu évolué depuis sa création, les cornes ayant juste été raccourcies et radoucies, au fil du temps. Tous les ans, il est détourné par un artiste de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC).
Historiquement l’une des premières marques de fromage industriel, créée à une époque où la production était encore largement artisanale, la recette de « La vache qui rit » reste relativement identique, dans sa version originale, bien que connaissant de nombreuses déclinaisons. Elle est toujours fabriquée à partir de plusieurs types de sous-produits au lait pasteurisé, au lait cru frais ou affinés de filières fromagères connues telles que l’emmental, le comté, le gouda et le cheddar. Y sont ajoutés protéines de lait, beurre, lait écrémé et sels de fonte. Fondus dans des malaxeurs chauffants, la pâte est ainsi mélangée, le produit fini ne nécessitant pas de conservation au froid.
En dépit de la crise économique et sanitaire liée à la pandémie, en 2020, Bel réalise un chiffre d’affaires de 3, 455,8 milliards d’euros (+ 1,5 % par rapport à l’année précédente) et un résultat opérationnel de 245 millions d’euros (+ 16,1 %). « La Vache qui rit » est produite dans le Jura (pour le marché français), l’usine-mère étant toujours à Lons-le-Saunier. Les usines Bel se situent essentiellement dans l’ouest pour les fromages de laiterie comme le Cousteron, soit 795 exploitations regroupées au sein d’une association, avant la loi Egalim (2018). Ce regroupement des exploitants partenaires a permis d’avoir un seul interlocuteur.
En France, il est établi le sinistre constat de la non-reprise des exploitations par les enfants, des suicides dans le monde agricole traversant une crise profonde depuis de nombreuses années… Le PDG Antoine Fiévet négocie avec les éleveurs, afin de ne plus être dans un rapport de force. En 2019, un prix minimum de 35 centimes le litre est convenu, plus 0,6 centime pour que les vaches soient en pâturage et 1,5 centime supplémentaire, afin qu’elles soient nourries sans OGM. Ainsi le Groupe Bel est le seul acteur dans l’agroalimentaire français, à garantir un prix sur un an, à 100 % de ses producteurs (leur donnant ainsi de la visibilité).
« Fêtons ensemble les 100 ans de La Vache qui rit »
Début 2022, le bénéfice net du Groupe Bel descend à 32,4 millions d’euros (soit une baisse de 50 % par rapport à 2021), dans un contexte de forte inflation, le chiffre d’affaires se stabilisant à 1,6 milliards d’euros. La même année, le Groupe Bel fait l’acquisition de la société chinoise Shandong Junjun Cheese et prend une participation de 49 % dans le groupe agroalimentaire indien Britannia. Le Groupe Bel est toujours détenu à 80 % (majoritairement) et piloté par les familles fondatrices Bel-Fiévet. En décembre 2024, les familles Fiévet, Sauvin et Dufort se sont octroyés 98,52 % du capital et 93,54 % des droits de vote de la holding Unibel par un pacte d’actionnaires.
Au niveau opérationnel, on compte le PDG Antoine Fiévet (arrière-petit-fils de Léon Bel), un jeune cousin s’occupant de la transformation du groupe (une tante dirigeant la « Maison de La Vache qui rit », dans le Jura). Laurent Fiévet (frère du PDG) est responsable du « Lab’Bel », un fonds pour la création artistique et sa femme de la fondation (des postes bénévoles), pour l’anecdote. Le siège social est basé en région parisienne, divisé entre le 16, boulevard Malesherbes à Paris 8e et Suresnes.
Avec 16 usines (dont 2 historiques en France), 33 sites de production en France et à travers le monde (à 53,8 % en Europe) et plus de 80 % des volumes vendus à l’étranger, sur les 12 600 salariés du groupe, 3 800 sont employés en France. Les sites de production hexagonaux sont situés à Lons-le-Saunier, Dole, Sablé-sur-Sarthe, Evron, Croisy-sur-Eure, Vendôme, La Ferté-Bernard et Mayenne. Le taux de renouvellement de l’entreprise (« turn over ») est assez faible sur les métiers techniques. Plusieurs générations d’une même famille travaillent parfois sur le même site.
Le marché français ne représente que 20 % de son chiffre d’affaires (3,74 milliards d’€ en 2024), le groupe étant implanté dans près de 130 pays à travers le monde. La commercialisation repose sur une gamme de produits de plus en plus large (une cinquantaine marques internationales…). Parmi lesquelles citons : La Vache qui Rit (1921), Bonbel (1947), BabyBel (1952), Apéricube (1960), Kiri (1966), Adler-Edelcrème, Cantadou, Cousteron, Port Salut, Régal Picon, Maredsous, Materne, Mont Blanc, Picon, Pom’Potes, Merkts, Limiano, Price’s, Wispride, Karper (2006), Terra Nostra, Nurishh ou encore Sylphide…
La croissance repose toujours sur le succès de « La Vache qui rit », ayant célébré ses 100 ans, en 2022 (à l’image du groupe) et qui doit beaucoup à sa communication moderne. Désormais n°3 mondial des fromages de marque, Bel continue d’inventer de nouveaux modes et moments de consommation exportables à l’international, grâce à des produits le plus sain possible, ludiques et innovant, s’invitant en dehors du plateau de fromage traditionnel.
J. D.