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Darty, l’épopée du n°1 de l’électro-ménager

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Aujourd’hui, l’enseigne d’électroménager Darty est bien présente dans notre quotidien, indissociable dans l’imaginaire collectif de son slogan fétiche (le « Contrat de Confiance »), sa petite musique (le jingle à six notes se sifflant), sa célèbre camionnette jaune et bleue (du service livraison / après-vente) et son célèbre logo.

Mais son histoire reste plus méconnue, à savoir une véritable saga familiale, au départ, tel le relatait récemment un documentaire sur France Télévisions. Car avant d’être une entreprise, Darty est en effet un patronyme, à l’image de nombreuses marques déposées, en France. Initialement installée dans la confection sur mesure, la famille Darty se lance par un hasard et un curieux concours de circonstances, en 1957, dans le commerce d’électroménager.

La décennie 1960 sera leur période d’apprentissage, de leur première surface de vente, située porte de Montreuil, à l’ouverture de leur second magasin à Belleville et d’un entrepôt en banlieue parisienne. Au contact de la clientèle, les frères Darty développent une politique commerciale de prix bas avec services inclus. L’enseigne est alors décriée par le petit commerce spécialisé.

Darty

Les années 1970 sont celles du développement de la franchise et de l’expansion en province, jusqu’à l’EPR lancée en 1987. L‘aventure Darty, c’est un demi-siècle d’innovations commerciales, de l’ouverture du premier magasin en sous-sol, il y a plus de quarante ans, à Paris (sous la Madeleine). En passant par le développement du service après-vente inclus, dès les années 1960, jusqu’à la vente à distance dans les points-relais avec bornes dès les années 1980.

Mais c’est aussi le concept écrit de « Contrat de Confiance » (1973). Associée aux talents de Marcel (1922-1983) et Natan (1920-2010), l’épopée Darty est indissociable de la personnalité de Bernard Darty (1934-2018), ayant développé une vraie culture d’entreprise, animant toujours l’enseigne aujourd’hui.

Désormais filiale de Fnac Darty (depuis le 16 novembre 2016), près de soixante ans après sa création, Darty est désormais le n°1 de l’électroménager en France avec près de 382 magasins (en propre ou en franchise) et 12 600 salariés, l’enseigne étant également présente en Belgique, en Espagne, au Portugal, ainsi qu’au Maghreb et en Afrique subsaharienne.

DARTY, le succès sur contrat 

1er magasin Darty, porte de Montreuil, années 1960

Du petit magasin d’électroménager de la porte de Montreuil (1957) à l’entrée à la Bourse de Paris (1976), en passant par l’ouverture de la première grande surface spécialisée en banlieue parisienne (juin 1968), Darty, c’est une épopée, méritant d’être ici relatée.

Aux origines de Darty

« Un frigidaire, un joli scooter, un atomixer et du Dunlopillo… ». Les paroles du regretté écrivain, parolier et chanteur Boris Vian (1920-1959) dans sa célèbre chanson « Complainte du progrès » en 1955 (tel le relate la voix off dans un récent documentaire consacré au sujet) illustrent et résument parfaitement l’offre proposée par le groupe Darty, présent désormais partout en France. 

Lors d’un récent documentaire sur France 3, Bernard Darty revenait ainsi sur son parcours, lui qui a fondé avec son père et ses deux frères la célèbre enseigne, acceptant de revenir sur ce qui a fait le succès de la marque Darty. La famille Darty, c’est l’épopée d’une famille de juifs polonais installés dans le prêt-à-porter. Commerçant en textile à Plonsk en Pologne (où il est victime de persécutions antisémites), le père, Icek Herz Darty (1890-1976) décide d’émigrer en 1930 en France, en éclaireur.

Sa femme Golda Darty, née Kibel (1895-1942) et ses trois enfants (deux garçons et une fille) décident de le rejoindre l’année suivante. Après qu’il ait trouvé du travail et qu’il se soit installé 107, rue d’Avron, à Paris, dans le 20e arrondissement. Dans une volonté d’assimilation, le père change son prénom d’Icek Herz en Henry. Il se rend aux cours du soir et il apprend le français qu’il parlait sans accent. « La République française était sa patrie d’adoption, l’endroit où il se sentait le mieux », raconte Bernard Darty à son sujet.

Bernard Darty (1934-2018) est le dernier né de la famille (le seul à être né en France). Ses parents ont songé à l’appeler Benjamin. Mais ses deux frères de douze et quatorze ans, Marcel (1922-1983) et Nachman dit Natan (1920-2010) estimant que ce n’était pas assez français, ils ont finalement préféré Bernard. Tel le développe Bernard Darty dans un entretien : « Il y a une différence entre assimilation et intégration. L’assimilation consiste à se fondre dans la population, à devenir semblable aux autres. A apprendre la langue à l’école du soir. Mes parents ne pratiquaient pas, ils étaient laïques. Nous étions, avec mes frères et soeur, de bons petits Français »

Henry Darty est façonnier à domicile pour le couturier Weil (maison toujours existante). A l’abri des persécutions antisémites depuis son arrivée en France, la famille Darty s’est retrouvée confrontée aux mêmes difficultés à partir de 1940-41. Les premières rafles de juifs commencent en zone occupée (rafle du billet vert en mai 1941). Natan Darty (1920-2010) – l’aîné de la fratrie – est alors coursier cycliste pour un laboratoire photo, lorsqu’il est arrêté à l’âge de vingt-et-un ans. Il est déporté le 27 mars 1942 et interné à Auschwitz par le premier convoi de déportés (dont il sera l’un des quelques rescapés). Comme le sera sa mère Golda, quelques mois plus tard.

En 1942, le 17 juillet, c’est la rafle dite du Vél’ d’hiv (Vélodrome d’hiver). Bernard Darty se remémore qu’il a alors « sept ans, sept mois et sept jours », lorsqu’à 6 heures du matin, la police se présente à leur domicile, comme dans tous les foyers juifs recensés de la région parisienne et leur dit de préparer une valise chacun, avant de repasser dans une heure.

Quelques temps plus tard, sa mère et son frère Marcel descendent sur le trottoir, en face de l’immeuble où ils habitent. Désignés par la concierge, la police étant revenue, Marcel (âgé de vingt-deux ans) court et parvient à s’échapper très rapidement. Il entre ensuite dans la résistance. La mère est arrêtée, déportée et morte probablement avant même d’arriver à Auschwitz, le 27 juillet 1942.

Le père Henry se cache durant l’occupation et survit dans l’arrière-salle d’un café fermé, où il continue à travailler pour payer leurs pensions. Bernard Darty a été placé chez des gens à Savigny-sur-Orge (Essonne), jusqu’à la libération. Il part à l’école communale en 1944, à l’âge de dix ans, rue des Pyrénées (20e arrondissement), où il prépare le certificat d’études.

Puis après le lycée Arago, place de la Nation (12e arrondissement), il passe un diplôme supplémentaire de coupeur. Bernard Darty sait couper un costume à partir de mesures prises (au centimètre, sans patron). Il rejoint son père et ses deux frères, dont Natan, rentré de déportation. Ce-dernier a arrêté les études au certif’ et s’est adonné à l’exercice de plusieurs petits boulots. Diplômé en modélisme, il est spécialisé dans le patronage de costumes sur mesure pour les tailles hors normes.

Henry Darty et ses trois fils réunissent 300 000 anciens francs (3 000 francs nouveaux, soit environ 500 euros), pour s’établir à leur compte et créer l’établissement à responsabilité limitée « Darty & Fils », en 1947 (ce qui est toujours le nom juridique de l’enseigne Darty, en 2018). Les Darty installent leur atelier dans le sous-sol de la maison de Marcel, leur appartement du 107, rue d’Avron étant occupé, depuis sa réquisition durant la guerre.

Ils fabriquent essentiellement des costumes pour homme, des jacquettes pour femme, des canadiennes… La clientèle est exigeante, parce qu’un costume doit durer très longtemps. Henry Darty a une devise qui est « de faire des vêtements à vos mesures au prix du tout fait ». Quand le logement de la rue d’Avron s’est libéré, ils s’y installent avec leurs quatre machines à coudre. L’atelier familial est la pièce principale du logement de 40 m² et ils retournent les têtes de machines pour poser une nappe et déjeuner ou dîner, rappelle Bernard Darty dans une interview.

L’affaire se développe et ils ouvrent deux magasins, l’un boulevard Magenta (à Paris) et l’autre au 3, avenue de la Porte de Montreuil (à Montreuil, en Seine-Saint-Denis). En octobre 1957, le voisin de leur boutique de la porte de Montreuil, propriétaire d’un petit magasin de radioélectricité (postes de radio, piles, lampes) – Electro-Montreuil – décide de céder son bail.

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Marcel Darty l’achète car il envisage d’agrandir leur petit magasin de textile. Ils commencent à faire de la publicité, des prospectus étant déjà distribués (sous format papier), puis de buvards publicitaires (avec marqué « bon buvard à conserver »). Mais ils ne peuvent changer de raison sociale, car la boutique est une HBM (habitation bon marché), appartenant à la Ville de Paris.

En dépit de leurs réclamations auprès d’un employé de l’administration (SAGI), le bail ne peut ainsi être transformé pour des raisons techniques. Les frères Darty récupèrent le stock restant du voisin, et se décident à le vendre. Rentré de vingt-huit mois de service militaire, Bernard Darty se voit confier cette tâche.

Y étant formé par l’ancien exploitant, il prend la responsabilité du nouveau petit magasin, en vendant des radios et téléviseurs (contraint de poursuivre l’activité un temps). A la fin des années 1950, les téléviseurs démarraient. « Il y en a très peu alors. Une seule chaîne n’émet que le soir », raconte Bernard Darty dans Ouest-France, en 2017. Il a eu l’idée de sortir la marchandise sur le trottoir, de tourner les téléviseurs vers la rue, les allumer et les proposer à prix cassés. Les clients s’attroupent devant la petite boîte magique, se révélant « aussi accros aux télés qu’ils le sont à l’Iphone aujourd’hui ».

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Un téléviseur vaut alors deux mois de salaire d’un ouvrier, soit 1 000 francs nouveaux. Les Darty ont l’idée de proposer un versement de trois mensualités de 100 francs avant d’envoyer la demande de crédit aux banques. A crédit, le comptant doit atteindre 30 % du prix total. Bernard Darty inscrit ainsi sur la vitrine : « Ce soir, chez vous, pour 100 francs ! » Ce sont les contrats de location-vente.

Le succès est immédiat. En quelques jours, le stock est entièrement liquidé (étant à la veille des fêtes de fin d’année). Soit autant de téléviseurs vendus en huit jours (huit postes), que le prédécesseur en un an. Assez vite, les Darty deviennent « les meilleurs revendeurs de la région parisienne. »

Après une période d’observation, découvrant le formidable potentiel de ce marché (développement de la société de consommation oblige), les trois frères se décident à poursuivre l’activité. Après tout l’électro-ménager est aussi fait pour durer. Ils s’y consacrent parallèlement à leur activité première de confection sur mesure, puis exclusivement (à partir de 1967), le père Henry se retirant progressivement.

La période de l’apprentissage et la découverte des règles d’or du commerce (1957-1966)

Les années 1960 sont les années d’apprentissage, découvrant les règles d’or du commerce (en électro-ménager). L’avenue de la Porte de Montreuil, c’est le début du marché aux puces, les marchands drainant une faune importante de clients, le samedi et le dimanche. Ce qui a fait dire à un ancien cadre de l’enseigne, en plaisantant, que les Darty « sont passés du marché aux puces à la bourse de Paris ». Au contact de la clientèle de ce quartier populaire naît une nouvelle approche commerciale de spécialistes. « Un client n’est satisfait que si le produit qu’il achète fonctionne et rend les services que l’on attend de lui », égrène Bernard Darty.

Qui était le fondateur du groupe Darty qui vient de décéder ?

Lors de l’ouverture de leur premier magasin à Montreuil (93), dédié à la vente de postes de radio et de téléviseurs, les trois frères observent que les clients étaient très intéressés par la possibilité d’utiliser leur appareil tout de suite. Comme l’explique Bernard Darty : « A la Porte de Montreuil, les gens avaient le verbe haut et le coup de poing facile (…). Quand leur téléviseur tombait en panne, ils exigeaient une réparation immédiate. Or je n’étais pas très costaud. C’est comme ça qu’est née l’idée du service après-vente et du dépannage même le dimanche ».

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Ils embauchent un technicien (un spécialiste touche à tout, un certain Trousselard). Et si un client se plaint de son téléviseur en panne, il s’en enquiert et part le dépanner immédiatement à son domicile avec sa valise de dépannage. C’est le service après-vente rapide. Les téléviseurs sont des objets fragiles, fonctionnant avec des lampes à culot qui grillent facilement. Par ailleurs, la réception de l’image et le réglage du son posent souvent problème.

Cette stratégie commerciale s’avère révolutionnaire. Car à l’époque ce sont les fabricants eux-mêmes qui assurent ce service. Mais le dépannage n’est jamais immédiat et ne s’effectue surtout pas sept jours sur sept. Ce concept est au coeur de l’offre commerciale Darty, des origines à nos jours (près d’une personne sur trois travaillant au service après-vente chez Darty, dans les années 1970, aujourd’hui près de 45 % des salariés de l’enseigne).

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Dans les années 1950, les fabricants forment les techniciens et il n’y en a pas en nombre suffisant en France pour être engagés dans les petits magasins de radio-électricité. D’assurer le service après-vente s’avère « fondamental ». Car il permet de se démarquer des concurrents, tel Bernard Darty le détaille dans un entretien : « Le raisonnement était qu’une bonne partie de la vraie valeur ajoutée d’un distributeur, c’est d’offrir quelque chose de plus : le service en termes de qualité et de rapidité ».

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Mais pour le faire, encore faut-il avoir les pièces détachées. Or, certains industriels ne veulent pas leur en fournir. Au début des années 1960, leur offre s’étend aux réfrigérateurs, machines à laver, cuisinières… Ils se heurtent à un monopole, parce qu’ils remettent en question le secteur des concessionnaires exclusifs de marques (Laden, Frigidaire, Frigéco, Frimatic, etc.). Ils s’efforcent cependant d’offrir le meilleur service après-vente possible, en tentant de trouver des solutions palliatives et ils auront le souci ultérieurement de maîtriser leur fourniture en pièces détachées, en créant une centrale d’achat à cet effet. 

Les magasins d’électro-ménager travaillent souvent avec un seul fabricant (vendant alors une seule marque). Et l’enseigne Darty a également ceci d’unique que l’offre proposée n’est pas monomarque (Schneider, Philips, diverses marques de frigidaires…), mais multimarque (ou polymarque). 

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C’est la période bénie des Trente Glorieuses, les Français s’équipent en masse. C’est la naissance de produits de plus en plus performant, à savoir des appareils domestiques électriques comprenant aussi bien les produits dits bruns (téléviseurs, radio, etc.), étant de couleur brune, que les produits blancs (machines à laver, frigidaires, cuisinières…), car de couleur blanche.

Profil de Arty Darty (artydarty) | Pinterest 

Publicité Darty, années 1960

Le prix le plus bas, le plus grand choix, le meilleur service après-vente sept jours sur sept. Voilà le trio gagnant sur lequel s’appuie le développement de l’enseigne Darty. Le succès est tel que le magasin s’agrandit. Il en est ouvert un deuxième à Belleville en 1965 et un entrepôt est créé à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), où les frères Darty déménagent leur siège social. Les années 1960 sont consacrées au développement à Paris et en banlieue de l’entreprise familiale d’électro-ménager. En 1967, l’entreprise Darty compte trois magasins et soixante-sept salariés. 

Bernard (1934-2018), Natan (1920-2010) et Marcel Darty (1922-1983) forment un trio de choc. Leurs trois personnalités sont complémentaires et ils se sont naturellement répartis les tâches. Commercial hors-pair avec « une idée à la seconde », charismatique et entrepreneur dans l’âme, Bernard s’occupe de la stratégie et du développement (occupant la fonction de directeur commercial). Marcel a le sens de l’immobilier et il déniche les meilleurs emplacements pour les magasins (étant le directeur de l’expansion). Natan s’occupe de négocier et d’acheter les produits (étant le directeur des achats).

Décès à 84 ans de Bernard Darty, le dernier des trois fondateurs - Le  Parisien

Bernard (1934-2018), Marcel (1922-1983) et Natan Darty (1920-2010)

La première grande surface Darty et l’implantation en province (1967-1973)

En 1967, en effectuant un voyage d’études aux Etats-Unis avec une soixantaine de revendeurs, à l’invitation d’un fournisseur, à Boston, Bernard Darty a un choc en visitant une grande surface spécialisée dans l’électro-domestique, baptisé « Lechmere ». Il y découvre le gigantisme américain et les imposantes grandes surfaces exclusivement dédiées à la vente d’électroménager (500 m²). 

Ce voyage permet aux frères Darty de découvrir ce qu’est réellement une grande surface spécialisée. « Cela correspondait parfaitement à l’idée que nous nous faisions d’un magasin capable de distribuer à prix bas, un grand choix de produits nécessitant l’action d’un service après-vente », explique-t-il. Le concept n’existe pas encore en France (la taille moyenne d’un magasin d’électro-ménager y est de 50 à 100 m²). 

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Lors de ce voyage, Bernard Darty rencontre Jean-Luc Sélignan (futur directeur du développement de Darty), qui effectue un stage aux Etats-Unis. Ce-dernier apprend sans le connaître, que son compatriote Bernard Darty souhaite s’inspirer du concept de Kennedy & Cohen. Parmi d’autres inventions commerciales, l’enseigne américaine a inventé le concept du remboursement de la différence au client, s’il a trouvé moins cher ailleurs.

A l’époque, il se voit offrir une dinde (chargée de symbole aux Etats-Unis, à cause de Thanksgiving). De retour en France, Bernard Darty reprend la formule de promesse mercantile de Kennedy & Cohen à fins de marketing, en lançant l’opération « Une bouteille de champagne si vous trouvez moins cher ailleurs ». Ce qui vient ultérieurement renforcer l’article 2 du « Contrat de Confiance » (1973), sur le remboursement de la différence.

Cas N°35 : Darty et « contrat de confiance »

Publicités Darty (années 1970)

« Aux Etats-Unis, ce qui compte, c’est le prix analyse Bernard Darty et chez Darty, l’activité principale, c’est le service ». Mais service compris et le prix le plus bas, cela a un coût et le but est que cela n’aboutisse pas à perte. Il faut réaliser des marges suffisantes sur le volume des ventes. « Avant la réflexion, il y a l’intuition. Nous savions bien que la société de consommation des Trente Glorieuses modernisait le commerce traditionnel », explique Bernard Darty dans Ouest-France, en 2017.

A leur retour de Boston et de Washington, tandis qu’ils arrêtent avec mélancolie pour le père, l’activité confection, Bernard Darty commence à réfléchir « sur un concept de magasin qui rassemblerait, sous la même enseigne, plusieurs gammes de produits. » « La démocratisation de la voiture a été un argument majeur. On se déplace loin pour s’équiper », ajoute-t-il.

Le chiffre d’affaires de l’enseigne se développe et les frères Darty ont besoin d’un entrepôt plus important que celui de Bagnolet. Suivant l’exemple américain, cela leur permet de mettre en application leur idée mûrissant : « ouvrir une grande surface spécialisée ». L’enseigne ne compte alors que des magasins de surface moyenne et uniquement en région parisienne. Les frères Darty osent l’impensable et décident de créer une surface de 400 m², puis 800 m² de vente. 

« Prendre des risques, c’est le lot de tout entrepreneur. Quelqu’un a dit que la justification morale du profit, c’est le risque », dit Bernard Darty. Son frère Marcel achète le terrain près de la N7 à Bondy (Seine-Saint-Denis), qui leur permet de construire un entrepôt de 3 000 m². Ils déménagent leur siège social à Bondy et posent la première pierre de ce qui sera « le plus grand magasin d’électrodomestique de l’Hexagone » : 400 m² d’appareils en tout genre (surface qui doublera très rapidement).

« Les prospectus avaient été distribués pour une ouverture le 3 mai 1968″ », explique Bernard Darty dans un entretien. Les évènements de mai 1968 retardent l’échéance, et l’ouverture est décalée (n’ayant plus d’essence nulle part). « La France était paralysée, raconte-t-il. Donc pendant trois ou quatre semaines, j’ai joué à la belote avec les deux équipes de livreurs. »

Le magasin ouvre finalement ses portes le 11 juin et le succès est immédiat. C’est un choc pour Bernard Darty de découvrir à son arrivée à 9 h, une cinquantaine de clients attendant déjà l’ouverture du magasin, tel il le remémore lors d’une interview, en inaugurant la rue des Frères Darty à Bondy, le 20 octobre 2017 (près de cinquante ans plus tard). C’est un évènement en France, relayé dans les médias. C’est la première grande surface spécialisée en électro-ménager ouverte dans l’hexagone.

Elle est aménagée suivant les préceptes de Bernardo Trujillo.  Représentant chez National Cash Register, cet homme d’affaires sud-américain est le premier à formaliser dans les Etats-Unis des années 1950, les principes pratiques et théoriques portant le succès de la grande distribution moderne. Il les dispense via des séminaires baptisés les « Méthodes marchandes modernes » (MMM) pour le compte du fabricant de caisses enregistreuses NCR. Les principaux acteurs de la grande distribution française y ont assisté.

Parmi ceux qui ont fait le déplacement à Dayton (Ohio, Etats-Unis), citons précisément Bernard Darty, Bernard Magrez (spécialiste des grands crus bordelais), Marcel Fournier, Jacques et Denis Defforey (Carrefour), Gérard Mulliez père et fils (Auchan), Paul Dubrule et Gérard Pélisson (Accor), André Essel (Fnac), Pierre et Guy Sordoillet (Conforama)… Seul Edouard Leclerc (Leclerc) n’a pas fait le détour à Ohio.

Bernardo Trujillo débutait à chaque fois le séminaire qu’il animait en demandant à son auditoire (surtout s’il était composé de responsables commerciaux) de se lever et d’observer une minute de silence. Puis il annonçait d’un ton solennel : « Nous allons observer une minute de silence à la mémoire de ceux d’entre vous qui disparaîtront mais qui ne le savent pas encore ».

Il développait ses préceptes par l’utilisation de formules simples : « Le succès repose sur trois pieds : le libre-service, le discount, le tam-tam publicitaire. Qu’un seul vienne à manquer et tout s’écroule », « No parking, no business », « Créer un îlot de perte dans un océan de profits », « Les vitrines sont les cercueils des magasins »… Près de 2 347 chefs d’entreprise français participent à ces séminaires entre 1957 et 1965.

Darty on Twitter: "Darty a 60 ans et pour l'occasion la mairie de Bondy a  souhaité rendre hommage aux frères Darty… "https://www.letelegramme.fr/images/2020/07/28/le-premier-minitel-en-test-durant-l-ete-1980-aupres-de-55_5242276_300x225.jpgDARTY LA MADELEINE (75008) - Téléphone, horaires, adresse, avis et catalogue

Ainsi le magasin de Bondy offre le plus grand choix d’appareils électro-domestiques jamais proposé, aux meilleurs prix du marché. Le site est pourvu d’un vaste parking pour accueillir les visiteurs. Puisque le matériel est dans l’entrepôt, il suffit de le déballer pour le mettre en vente, car l’objectif est de montrer tous leurs actifs en termes de choix. C’est le premier magasin d’électroménager en France, en termes de services.

Derrière une cloison vitrée, depuis le magasin, les clients peuvent voir les techniciens en blouses blanches du service après-vente travailler dans leurs ateliers, et aperçoivent l’entrée de l’entrepôt avec les marchandises stockées. En 1968, une société est créée pour formaliser le service après-vente (Darty service). En 1969, c’est la création et l’installation à Pantin (93) de la filiale CAFOPREM, grossiste en produits électro-domestiques.

En 1970, l’enseigne compte désormais 7 magasins et 318 collaborateurs. En 1973, le concept Darty est formalisé (prenant de l’ampleur). Les trois frères ont l’idée de créer le fameux « Contrat de Confiance », par lequel l’enseigne s’engage par écrit à garantir à ses clients un prix bas, un large choix et des services de qualité sept jours sur sept.

Marcel Darty cherche une idée pour exprimer l’engagement vis-à-vis des consommateurs et il signe le « Contrat de Confiance » (étant alors PDG), qui sera ensuite paraphé par tous les salariés. Ainsi, pour la première fois, un distributeur s’engage par écrit auprès du consommateur. Les prix, le choix et le service inclus sont garantis au client. 

Ce contrat devient l’identité de l’entreprise, car il engage tous les collaborateurs. Véritable clef de voute commercial de Darty et au coeur de sa philosophie, le « Contrat de Confiance » est appliqué à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. En trois mots, le « Contrat de Confiance » est défini entre les salariés, en les y associant, au travers un engagement ferme et définitif, qui est un document comprenant sept articles signé par le directeur de chaque magasin.

Garantissant par écrit les engagements qu’elle prend envers les consommateurs, la chaîne d’électroménager ne cesse de prospérer et acquiert rapidement une dimension nationale, le concept Darty poursuivant son développement de 1967 à 1974. Les frères Darty développent la franchise et s’implantent désormais en province.

Darty est déjà connu, alors il a suffi de publier un article dans « Le Progrès de Lyon » pour y annoncer l’ouverture d’un magasin dans la troisième ville de France. La première filiale en Rhône-Alpes est ouverte. Puis à partir de 1975, c’est l’ouverture de cinq autres filiales régionales (Nord-Pas-de-Calais, Alsace-Lorraine, Normandie, Provence-Méditerranée, Ouest) bénéficiant toutes d’une large autonomie.

Les magasins Darty sont dorénavant de grandes surfaces spécialisées, proposant un choix important de produits en électro-ménager, TV, vidéo, Hi-Fi, téléphonie. A taille humaine, ils sont implantés à proximité des clients en centre-ville (dans Paris intra-muros comme à La Madeleine), en périphérie et dans les centres commerciaux (comme à Belle-Epine, Parly 2).

Dans les années 1970, Darty ambitionne de s’implanter dans le Nord-Pas-de-Calais, un territoire sur lequel Bernard Boulanger (avec son frère Gustave) a développé depuis de nombreuses années le même type d’activités que Darty, sous le nom d’enseigne Boulanger. S’en suivent quelques escarmouches au niveau des prix entre les deux entreprises.

Cette rivalité durera jusqu’au rachat de Boulanger par le groupe Mulliez en 1986, entré dans le capital de l’enseigne en 1983. Au cours d’une croisière organisée par Philips, les deux Bernard (Darty et Boulanger) ont longuement échangé et Bernard Darty se souvient avoir plaisanté : « Tu es aussi bon que moi mais la chance a voulu que je naisse à Paris et toi à Lille… Le nombre d’habitants n’est évidemment pas comparable… ».

En 1974, Darty compte désormais 1 entrepôt, 11 magasins et 908 collaborateurs (45 camions effectuant 400 livraisons par jour). Ce qui est suivi en 1975 de l’inauguration de l’entrepôt Darty en Seine-et-Marne, à la limite de la Seine-Saint-Denis. C’est alors le plus grand entrepôt d’Europe dans son secteur, dans les métiers de l’électro-domestique (40 000 m² couverts à Mitry-Mory, non loin de Paris).

Comme les frères Darty sont autodidactes et que l’entreprise se développe, ils décident de déléguer le côté opérationnel, en se réservant la communication.

La formalisation du concept Darty et la poursuite de l’expansion (1973-1988)

Dès 1973, les frères Darty se focalisent sur la radio (puis la télévision), en démarrant la publicité nationale sur ce support pour faire connaître du public le « Contrat de Confiance ». La radio est un média cher qui se doit d’être concentré. D’où la réflexion qui est la suivante : Comment transmettre l’ensemble de leurs actifs (grand choix, bas prix et le service rapide) en trente secondes ? A l’inauguration d’un magasin, Bernard Darty fait la connaissance de deux responsables d’Havas (agence publicitaire).

« Bernard est le stratège », dans ce trio de frères, tel le rapporte Alain de Pouzilhac (dans Le Monde en 2010 et Le Parisien en 2018), chef de pub chez Havas, en 1973. Ce-dernier se rend chaque mardi à 17 h, à Bondy, pour discuter avec Bernard Darty des publicités de l’enseigne, poursuivant son expansion (le siège s’étant longtemps partagé entre les bureaux de Bondy et ceux de Bagnolet dans les tours Mercuriales). L’agence dirigée par Alain de Pouzilhac fait la pub radio, puis les campagnes d’affichages autour du prix, du choix et du service, le triptyque du « Contrat de Confiance », avant le cinéma et la météo à la télé.

Contrat de confiance" : Darty revient aux basiques — Bouillonnements  numériques

Darty s’appuie sur son nouveau slogan publicitaire « Le Contrat de Confiance » et vante son service après-vente, disponible « tout le temps, même le dimanche », comme le dit la publicité. La marque signe tous ses messages, via différents supports média (télé, radio), de ses fameuses six notes de musique très reconnaissables (le petit jingle se sifflant). En 1988, Philippe Francès (que Bernard Darty surnomme le quatrième frère, recruté pour développer Darty en province) profite du désistement d’un annonceur sur Antenne 2 pour négocier le contrat du parrainage commercial le plus populaire : celui de la météo.

Apparues dans les années 1960, les camionnettes aux couleurs bleue (couleur préférée de Bernard Darty) et jaune sont appelées les « actifs circulants ». Lorsque la publicité a été autorisée à la télévision, le commerce de détail en a été exclu. Leur agence s’est servie des camionnettes pour sponsoriser la météo avec succès. En 1989, Darty est ainsi le premier distributeur à parrainer une émission de télévision, la météo (parrainage toujours d’actualité). Darty est le premier de ce genre de sponsor dans une émission, devant le journal ou la météo.

La publicité de la météo est révolutionnaire sur le plan communicatif, finissant par y associer l’enseigne. Popularisée par la petite camionnette jaune et bleue de dépannage et les campagnes de communication, Darty s’installe dans le paysage quotidien des Français. Cette entreprise a été atypique pour différentes raisons : la qualité des fondateurs, le développement, l’innovation, une communication de qualité et grand média, utilisant radio, tv, le métro, les transports, les gares, etc. Les innovations commerciales sont constantes, les exemples étant nombreux.

Spots météo Darty - YouTube

Pour la fin de l’année fiscale, dans les années 1970, Darty développe des points de vente à savoir des maisons de Noël proposant des offres promotionnelles imbattables, durant la période des fêtes de fin d’année. « C’est Darty moins cher que Darty ». Les frères Darty savent s’entourer et en 1965, Pierre Olard a été le premier cadre à avoir l’idée à la veille de la fête des mères (ayant imaginé une publicité pour cela), d’offrir des roses aux clients ayant acheté ce jour-là des produits à livrer.

Visionnaire et avec le souci d’être toujours à la pointe, l’enseigne Darty intègre la mécanographie avec les cartes perforées (calcul, traitement, publication de l’information), dès la fin des années 1960, puis l’informatique pour faciliter la gestion des ventes et des stocks. Pierre Olard a révolutionné l’informatique chez Darty, l’internet plus tard, ayant eu l’idée des bornes d’achat à distance Darty, dès les années 1980 (à l’époque du lancement du Minitel et avant l’heure d’internet).

1975 - publicité Darty | Image publicitaire, Enfance, Campagne publicitaireCas N°35 : Darty et « contrat de confiance »PUBLICITÉ ADVERTISING 1986 Les magasins Darty - EUR 3,00 | PicClick FR

Soit la mise en place de bornes d’achat Darty installées dans des petits locaux de 20 m² (partout en France, y compris en province et dans les zones rurales) permettant de choisir son produit, de le régler et de se faire livrer chez soi (soit Amazon avant l’heure). Les clients n’étaient pas encore habitués à ce principe (ce concept de vente à distance), en ayant même peur, au début. Bernard Darty est toujours prêt à réaliser ce que personne ne fait et il a le sens du risque, ce qui est l’une des clefs du succès de l’enseigne.

Un jour, en déjeunant chez Lucas Carton, place de la Madeleine (sur l’invitation d’un promoteur immobilier), il demande à ce-dernier (qui construit des parkings), s’il n’aurait pas des surfaces commerciales disponibles dans ses emplacements. Le promoteur lui répond qu’il peut lui faire visiter le parking aménagé récemment sous la place de la Madeleine. A l’issue de la visite, après le déjeuner, Bernard Darty découvre un niveau de parking ressemblant au niveau 2 (soit près de 2 000 m²). Il y voit un formidable potentiel et l’occasion d’ouvrir la première grande surface en sous-sol, en plein coeur de Paris.

Son responsable du développement est alors interloqué et lui rétorque : « Tu me vois, moi, négocier avec l’archevêque ? ». Situé sous l’église de la Madeleine, les négociations potentielles devront effectivement être menées, le cas échéant, avec le diocèse de Paris (propriétaire du foncier), en l’occurrence l’archevêque. Mais le projet est lancé, Darty prenant le premier sous-sol. Quelques mois plus tard, une annonce est faite : « Darty-sous-la-Madeleine : Pour les prix les plus bas, descendez ! ». Sur cette-dernière figure une découpe du parking avec l’église, le magasin et six niveaux de parking, soit une grande surface spécialisée en plein centre de Paris. La caractéristique de ce magasin est que l’entrée de parking jouxte une ceinture de métro.

France 3 Paris Ile-de-France - #LFEV : L'aventure Darty, une histoire de  confiance | Facebook

A l’ouverture du Darty Madeleine, des autocollants en plastique en forme de semelles de chaussures (marqués Darty), collés au sol, sortent des Galeries Lafayette et du Printemps, se dirigeant vers l’entrée du magasin indiquant aux clients son emplacement en sous-sol (« Pour les prix les plus bas descendez » avec les pas qui suivaient). Découvrant cette innovation commerciale, en se présentant le matin de l’ouverture, Bernard Darty déclare au responsable de cette idée, Pierre Olard : « ce n’est pas possible, on ne peut tout de même pas faire ça ». Mais il valide finalement le concept. « Alors je peux vous dire que les gens arrivaient », ajoute-t-il dans un entretien.

Excellent organisateur, Bernard Darty a également inventé la fonction de chef de produit en magasin, de l’achat jusqu’à la vente, en passant par la gestion des stocks et des marques. « Il faut prendre la qualité comme critère de choix pour le client », dit-il. Il a toujours le souci de satisfaire les clients et les salariés (mais dans un ordre bien précis, d’abord le client, ensuite le salarié).

Dans les années 1970, il appelle tous ses directeurs de magasins, tous les jours et leur demande le chiffre de la journée. Le coup de téléphone est un instrument de motivation extraordinaire. La hiérarchie n’existe pas. C’est la condition qui l’emporte. « Chez Darty, les salariés travaillent tous dans le même but, avec la même opiniâtreté, du simple vendeur au directeur de magasin », explique-t-il. « Le recrutement est opéré au niveau le plus bas, soit le directeur du magasin ». Ils engagent « des cadres de qualité avec des diplômés d’HEC, de Sup de Co, soit un recrutement varié ». Dans le recrutement entre en compte le côté technique et la capacité d’intégration.  

Lors de l’inauguration de la rue des Frères-Darty à Bondy, en 2017, un ancien salarié ayant travaillé trente ans chez Darty, et dont la belle-mère était la secrétaire d’un des frères Darty, se remémore ainsi (« Le Parisien », 20 octobre 2017) : « C’était très famille à l’époque (…). Ma femme ainsi que ses soeurs ont travaillé pour l’entreprise. Il y avait beaucoup de gens de même famille dans la société. » 

Les salariés sont heureux et plutôt fidèles. Ils restent six mois ou trente ans chez Darty. « Les exemples sont nombreux d’employés entrés à une vingtaine ou une trentaine d’années comme simple vendeur et sortis trente ans plus tard, parfois en tant que directeur de magasin ou de filiales régionales », raconte Bernard Darty dans un entretien, peu avant sa disparition. Cela tient à plusieurs facteurs. 

Les publicités automobilesCas N°35 : Darty et « contrat de confiance »

La chaîne fonctionne bien, l’ambiance est bonne (par l’état d’esprit en interne). Mais la première raison est l’attachement à cette structure familiale, généreuse, associant ses salariés et à la personnalité (charismatique) de Bernard Darty. Sur le plan de la rémunération, la règle générale est une partie fixe de salaire à laquelle s’ajoute une partie variable. Leur travail profite aux salariés, Darty ayant toujours été très participatif. Des initiatives inédites sont prises, à l’image de cette piscine inaugurée en 1976 sur le terrain de l’entrepôt principal, où les salariés peuvent plonger à la pause déjeuner. 

Bernard Darty a ainsi su développer une véritable culture d’entreprise. Un brin paternaliste, il a toujours eu le souci de conquérir le coeur de ses employés, ce que l’on appelle le fameux « esprit Darty », qui a survécu à son départ. Toujours courtois et d’humeur très égale, il est présenté comme un dirigeant généreux, altruiste et équitable avec ses salariés. Sympathique, communicatif, il est également doté d’un grand sens de l’humour, sachant aussi s’effacer, s’avérant particulièrement modeste et humble au contact.

Les publicités automobilesBernard Darty et le contrat de confiance

En 1976, Darty compte alors vingt magasins et 1 845 collaborateurs et le chiffre d’affaires croît de 25 % par an. La même année, le groupe est coté à la Bourse de Paris, à l’initiative de Bernard Darty. « La réussite de l’entreprise, désormais mesurable à l’échelon national aux côtés des plus grandes sociétés, renforce le sentiment de fierté et d’appartenance de ses salariés et facilite même le recrutement de personnel », explique-t-il. Le prix de l’action est de 300 F et un tiers du capital est ouvert au public.

Cette introduction en bourse est un évènement important dans la vie de l’entreprise. Un an après, le cours de l’action est en hausse de 20 % (s’étant accru de plus de 50 % en 1987). Le groupe devient, un peu plus tard, la première société à réaliser en France une distribution gratuite d’actions à son personnel, comme le permet la loi votée en 1980. 

En 1982, la marque diversifie son activité en créant une filiale en région parisienne, Sparty, spécialisée dans le sport, dirigée par François-Marie Valentin. Pour le lancement de cette marque, une campagne d’affichage originale est opérée dans le métro parisien, les publicités étant situées entre chaque station. Mais les résultats ne sont pas ceux attendus. La progression « n’est pas aussi rapide que le groupe aurait souhaité », tel le rapporte Bernard Darty dans son autobiographie parue en 2018, chez Dunod (« Darty, une histoire de confiance »).

En 1984, Darty crée la Dacem, société chargée d’assurer l’approvisionnement et la gestion des pièces détachées et des accessoires pour les produits électro-domestiques. La même année, c’est l’inauguration du partenariat « Envie », réseau associatif d’aide à l’insertion par le travail dans la récupération et la mise en état d’appareils en fin de vie.

Notre histoire - Réseau ENVIE

Inauguration du partenariat « Envie » (1984)

Suite à un grave accident de santé, en 1985 (deux ans après le décès de son frère aîné Marcel, en 1983), Bernard Darty décide de transformer l’organe de direction en organe de surveillance et de directoire, dont il prend la présidence, à l’âge de cinquante-et-un ans. En 1987, le groupe Darty cède ses onze magasins Sparty à Genty-Cathiard, un groupe qui rachète également la société Go Sport et la filiale sport de la Fnac, appelée Fnac Sport.

Peu avant sa disparition, Bernard Darty déclare à ce sujet dans LSA, en septembre 2018 : « J’ai un seul regret, celui de ne pas avoir fait des investissements différents. Nous aurions pu persister avec Sparty (…). Décathlon aurait eu un concurrent »En 1988, la société intègre le CAC 40. Mais en 1987, c’est le fameux krach boursier de Wall Street aux répercussions importantes sur l’année 1988.

En 1987, suite à une panne informatique à Wall Street, le Dow Jones chute de 50 % en une journée. Darty perd 60 %. Craignant une O.P.A d’un groupe étranger, en 1988, l’équipe dirigeante prend l’initiative d’une O.P.A interne, avec l’assentiment et l’appui des fondateurs de Darty, permettant le rachat de l’entreprise par ses salariés (R.E.S) et faisant ainsi preuve d’innovation économique et sociale.

La disparition de Marcel Darty, en 1983, alors PDG de la chaîne, ainsi que le départ en retraite de Natan Darty, décédé en 2010, et l’absence de successeur posent aussi la question de l’avenir de l’entreprise. Pourquoi pas un rachat par ses salariés ? Un jour, Marc Sulitzer (conseiller juridique et fiscal de l’enseigne), interroge Bernard Darty sur le sujet : « Dans l’idéal, à qui voudrais-tu transmettre la société ? ». Ce dernier répond alors sans hésiter, révélant son état d’esprit : « Aux salariés »

Bernard Darty et Philippe Francès lancent cette opération, qui marquera l’histoire du groupe Darty. Il est créé une société financière (la Financière Darty), détenant désormais 95 % du capital et constituée par les employés (90 % ont participé à l’opération), les cadres, la famille fondatrice et quelques banquiers proches. Pour être précis, au sein de la financière créée, la répartition est la suivante : 26 % du capital est destiné aux salariés, 26 % aux cadres, 26 % à la famille et le reste à quelques banquiers amis.

Tout un mécanisme a été déployé en vue d’expliquer les enjeux de cette opération financière aux salariés, en présentant le risque, étant la première entreprise de cette taille à effectuer ce type d’opération. « Si l’encadrement supérieur suit cette stratégie, nous allons le suivre », se disent les salariés. Si bien que près de 90 % des 6 521 salariés y participent, en l’ayant parfois appris à la radio. Il faut trouver cinq milliards assez rapidement, avant que le cours de l’action ne grimpe en apprenant l’O.P.A interne. Puisque la Financière Darty (via un E.R.S) réalise une O.P.A sur la chaîne Darty.

Encore aujourd’hui, c’est l’E.R.S le plus important jamais réalisé en Europe (par une entreprise de cette taille). En construisant avec l’équipe dirigeante ce plan social pour le personnel, Bernard Darty a voulu l’associer, l’intéresser à l’entreprise, lui en cédant une importante partie, afin que la chaîne Darty ne soit cédée à un groupe étranger. Ils ont levé un peu moins d’un milliard de francs grâce au fond d’épargne des salariés, déblocable soit en cas de décès du salarié, soit en cas d’E.R.S justement. L’opération est un succès puisque 90 % des salariés y participent et contrôlent 56 % du capital de Darty. 

La motivation de l’ensemble du personnel est réellement différente après cet E.R.S, en étant devenu actionnaire de l’entreprise. Nombre d’anciens employés ont ainsi pu acheter leur maison, leur appartement, payer les études de leurs enfants, etc. La même année, Darty prend une participation de 49 % dans le capital de la société Vanden Borre (distributeur spécialisé dans les produits électro-domestiques, en Belgique).

Du départ de Bernard Darty à nos jours

Fin 1988, la chaîne Darty ouvre son 100e magasin et en 1993, elle compte 137 magasins employant près de 7 000 salariés. La même année, Bernard Darty quitte toutes ses fonctions, à la suite du rapprochement de l’entreprise avec le groupe britannique Kingfisher, en ayant pris le contrôle financier. L’enseigne s’éloigne de son esprit familial originel. Bernard Darty s’investit dans le mécénat et soutient notamment la fondation Michelle-Darty (du nom de sa nièce). Créée en 1979 par son frère Natan et sa femme Hélène, ayant donné naissance à une fille atteinte d’handicap mental, elle a été reconnue d’utilité publique en 1980.

Bernard Darty gardait un oeil jusqu’à sa disparition sur le secteur, ayant ainsi tiré la « sonnette d’alarme », en août 2017, face à la menace représentée selon lui par la « pieuvre Amazon » pour les commerces physiques, dans une tribune dans Les Echos. Il publie « Une histoire de confiance, L’aventure Darty » chez Dunod, en septembre 2018, deux mois avant sa mort. Il y revient sur son parcours dans ce livre auto-biographique, accompagné des témoignages d’une quarantaine de collaborateurs.

1996 - publicité Darty | PublicitéRachat de Darty : Conforama rend les armes face à la Fnac

A sa disparition, le 15 décembre 2018 (à l’âge de quatre-vingt-quatre ans), le président de Fnac Darty, Alexandre Bompard, lui rend hommage au nom de tous les collaborateurs du groupe, étant alors le dernier des trois frères fondateurs encore en vie (après la disparition de Natan Darty en 2010, à l’âge de quatre-vingt-dix ans). « Bernard Darty n’a eu de cesse d’oeuvrer à la modernisation de la société et de ses activités, sans jamais se contenter des succès acquis, afin d’en faire une référence internationale du commerce (…). Son esprit entrepreneurial et son humanisme sont un exemple pour toutes les collaboratrices et tous les collaborateurs du groupe Fnac Darty » déclare-t-il ainsi à cette occasion.

De 1993 à 2003, durant une décennie, le développement de Darty est dorénavant associé à un groupe européen, étant entré dans le Groupe Kingfisher (enseigne de distribution spécialisée d’électrodomestique britannique), devenu après une scission en 2003, Kingfisher Electricals SA (KESA). La chaîne au logo rouge, blanc et noir poursuit les innovations.

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Le développement territorial est poursuivi avec 194 magasins en France, en 2003. En 1996, la chaîne Darty lance son premier site internet, devenu marchand trois ans plus tard. A partir de 1999, les clients Darty bénéficient du « Contrat de Confiance » en effectuant leurs achats à distance, sur Internet (www.darty.com) ou par téléphone. Darty.com est le premier magasin du groupe en chiffre d’affaires (14 % des ventes totales et plus de 120 millions de visiteurs uniques par an). La même année, Darty crée une assistance téléphonique 7 jours / 7 dédiée à ses clients « multimédia ».

Les principaux produits électro-domestiques vendus sont répartis entre « produits blancs » (petit et gros électro-ménager), « bruns » (appareils audio et vidéo) et « gris » (produits de télécommunications et multimédia). 40 % des collaborateurs du groupe Darty sont dans les métiers de services (57 centres d’appel techniques en France, 41 centres de service après-vente et 1 400 véhicules d’intervention à domicile). En 2003, Darty fait évoluer l’aménagement intérieur de ses magasins et en 2004, l’enseigne compte désormais 200 magasins en France (et au Luxembourg), et plus de 10 000 salariés.

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En 2006, Darty se lance sur le marché des fournisseurs d’accès à internet (FAI) avec DartyBox et en novembre 2008, la connexion très haut débit est proposée avec la DartyBox THD. En octobre 2007, Darty se lance sur le marché de la cuisine sur mesure et crée la « Carte de garantie électronique » et en février 2011, c’est le lancement de Darty Mobile, qui se solde cependant par un échec commercial, au bout d’un an.

Darty poursuit son développement à l’international : Italie (2003), Suisse (2005) et Turquie (2007). La même année, Darty procède au rachat de l’enseigne « Menaje del Hogar » en Espagne et au Portugal (rebaptisée Darty en 2010). En 2009, Darty lance une campagne de rajeunissement de ses points de vente et une nouvelle signature publicitaire avec « 36 000 solutions.com ».

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En 2013, le premier magasin Darty ouvre en franchise à Challans, en Vendée, l’objectif étant de s’adresser aux 30 % de Français n’ayant pas de magasin Darty à proximité. La même année, Darty numérise ses magasins et se lance depuis 2013 dans une stratégie d’innovation de services : le « Clique-Retiré », l’accès à l’espace client personnalisé Darty, le « Bouton », les « Petits travaux à domicile », services disponibles en partenariat avec Hellocasa depuis septembre 2015, en magasin et sur Darty.com.

Recyclez vos appareils : un geste pour la planète... - Darty & Vous

En novembre 2006, Darty adhère à un éco-organisme agréé (Eco-Systèmes), afin de créer une nouvelle organisation de recyclage des déchets. L’éco-collecte, tant en magasin qu’à domicile, est devenue partie intégrante du « Contrat de Confiance » (« Des engagements pour la planète »), faisant l’objet d’un article supplémentaire.

Décès de Bernard Darty, le co-fondateur de Dartyhttps://img.ecommercemag.fr/Img/BREVE/2020/10/353379/trimestre-porte-par-commerce-Fnac-Darty-T.jpg

En septembre 2015, le groupe Fnac propose le rachat de Darty pour un montant de 720 millions d’euros. Après une contre-offre présentée le 2 mars 2016 par Conforama (puis retirée le 26 avril), la Fnac remporte le duel, valorisant Darty à près de 1,2 milliard d’euros. En 2016, le mariage Fnac Darty est formalisé. Soit entre deux groupes ancrés, depuis plus d’un demi-siècle dans le quotidien des consommateurs français et confrontés à la vive concurrence d’internet.

Les deux enseignes représentent 26 000 collaborateurs dans le monde, dont 19 000 en France (au chiffre d’affaires réalisée à 72 % en France et à 28 % à l’international), 510 magasins dans l’hexagone et 218 à l’étranger (Bénélux, Espagne et Portugal, mais également Maroc, Tunisie, Qatar, Congo et Côte d’Ivoire…). En mai 2016, Darty se lance dans la literie. Suite au rachat, le personnel basé aux Mercuriales rejoint le siège de la Fnac à Ivry-sur-Seine, dans les quartiers des bords de Seine nouvellement aménagés.

Darty, l'épopée du n°1 de l'électro-ménager  dans Electro-ménager EM

Enrique Martinez est nommé Directeur Général du Groupe en 2019, et Jacques Veyrat prend la présidence du CA, en remplacement d’Alexandre Bompard. Le Groupe déploie avec succès son plan d’intégration : création d’un siège commun, regroupement des activités en Belgique, refonte complète du réseau d’entrepôts et du plan de transports, mutualisation des systèmes d’information…

Parallèlement, Fnac Darty accélère les synergies commerciales avec la création d’espaces Darty à l’intérieur d’une vingtaine de magasins Fnac. En octobre, l’abonnement Darty + est lancé sur le modèle de Fnac +. Les deux programmes donnent indifféremment accès à la livraison dans les enseignes Fnac et Darty. Le Groupe accélère son expansion avec l’ouverture de 78 magasins, dont 58 en franchise.

En 2019, le réseau de magasins Darty compte 382 emplacements, à moitié en franchises (réalisant 1,78 milliards d’euros de chiffre d’affaires). En décembre de la même année (fin 2019), Enrique Martinez présente le plan stratégique Confiance +. D’un modèle de distributeur, Fnac Darty passe à celui d’opérateur de plateforme de produits et de services, mettant en oeuvre une stratégie de conquête. Le chiffre d’affaires du groupe est de 8,05 milliards d’euros en 2021, en hausse de + 7,4 % par rapport à l’exercice précédent (7,4 milliards d’euros en 2018).

En ce début de XXIe siècle, le groupe Fnac Darty reste prédominant dans ses marchés respectifs : les produits culturels et électroniques pour l’entité Fnac, la distribution de matériel électro-ménager et électronique pour l’entité Darty. Mais bien qu’affichant une forte croissance, il doit désormais continuellement se réinventer, se diversifier et innover, face au défi imposé au commerce traditionnel par le développement d’Internet et de la vente en ligne.

J. D.

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